Mon grand saut dans la danse thérapie
Un soir où tout bascule. Ce jour là, j’ai eu besoin de danser. Trop longtemps sans danse dans ma vie. Moi qui adore la danse, qui pense que la danse c’est la vie, j’avais arrêté depuis plusieurs années. Alors j’ai cherché comme ça, d’un œil tout de même distrait, peu convaincue que je trouverai un cours pour le soir même. Et voilà…
On était en mars, en pleine semaine. Dans ma tête, les inscriptions sont closes, les spectacles de fin d’année en train de se monter et je ne voulais pas aller dans une école comme on peut en voir sur internet et les réseaux, ces écoles de quasi professionnels. Non je voulais juste une école où on se sente bien, où les erreurs sont acceptées sans jugement. C’était donc quasiment peine perdue. Et pourtant. Pourtant je suis tombée sur un post d’une école de danse qui nous invitait à les rejoindre, le jour même. Cours de danse thérapie. Oups. Danse thérapie. Moi qui sortait d’une thérapie « classique » longue, aller à un cours de danse thérapie ? Non merci. Et puis, après tout, pourquoi pas ? J’avais furieusement envie de danser et l’école me faisait de l’œil depuis l’écran d’ordinateur. Et un seul cours, ce n’était pas la fin du monde, du moment que je dansais, que je me laissais aller aux mouvements, que le vide me remplissait pour oublier mes soucis du moment….
J’ai donc envoyé un mail, expliqué brièvement mais précisément certaines choses, notamment mon refus absolu d’être touchée par quelqu’un. Pas de problème me répond la personne de l’autre côté de l’ordinateur.
20h30. Jeudi. Déjà très mal à l’aise dans des groupes de personnes que je connais, là c’était très très compliqué à gérer émotionnellement. Et dans cette salle immense, remplie de miroirs, aucun rideau, aucun petit recoin pour se cacher, comme j’aime si bien le faire. Bon, je l’ai voulu, je suis là et je veux danser.
D’entrée, cercle de paroles. Une par une, chacune raconte ce qu’elle souhaite, son état d’âme, sa météo intérieure. Les filles se connaissent, s’apprécient, sont bienveillantes. C’est mon tour. Je passe. Impossible de prendre la parole devant des inconnues pour me raconter. Le cours continue, assises en cercle, les yeux fermés. Je sens pourtant les regards, les présences, comme si je me faisais dévorer par les autres. Demi tour. Je ne peux pas rester ainsi, qu’on me laisse tranquille ! Je m’isole physiquement en me retournant. Là ça va mieux, je respire, je me sens protégée. Soudain, une présence derrière moi. Une question. « Puis je te toucher ? » je n’ose pas dire non, chose que j’apprendrais à dire par la suite ! Elle me touche le dos. Le dos ! Ma zone la plus douloureuse au toucher ! Et bizarrement, je n’ai pas mal. Son toucher est très léger, à peine posé, délicat et très chaleureux. Je sens une immense bonté d’âme, une chaleur et une bienveillance. Juste une envie de rassurer. Sans mot. Comme j’aime. Et elle repart, me laissant là, avec moi-même.
Le cours s’enchaîne… Les difficultés aussi. Ici point de barre, de techniques ou de choré, uniquement une danse de l’âme, intérieure et profonde. Danser pour s’exprimer. S’exprimer sans parole, sans réfléchir. Blocage général en moi. C’est trop dur. Je ne peux pas danser, comme ça, devant les autres. Danser librement, sans pas imposés est équivalent à dire à voix haute tout ce qui se passe en moi. Impossible. Je voudrais juste danser seule, sans personne autour. Pourtant chacun est dans sa bulle, personne ne juge personne. Mais je ne peux pas, mon corps refuse de bouger. Je me fige. Et voilà. Petit à petit je me réfugie contre le mur, loin des autres. Heureusement que la salle est immense. Les yeux baissés, personne ne me voit. Enfin, je le crois. J’aimerais me fondre dans le mur, m’y cacher et disparaître. Je ne peux pas m’enfuir du cours, la sortie est de l’autre côté de la salle. Et puis aller, c’est seulement 1h30 de cours. Je vais pouvoir survivre. Alors j’essaie de me fondre dans le décor, littéralement, passer inaperçue. Comme d’habitude. Mais ça ne marche pas. Comme d’habitude. Et là, Pascale, la professeur de danse, s’avance vers moi, sourire aux lèvres, plonge un regard puissant dans mes yeux et dit : « tu as le choix. Tu es créateur de ta vie. » et s’en va, sans demander son reste. Le coup est porté. Cela a créé un bouleversement en moi. Un électrochoc. Je me sens mal. Normal. Je n’ai plus dansé à ce premier cours. Ni parlé. Un silence extérieur traduisant une cohue bruyante à l’intérieur. Et pas seulement.
Ce premier cours m’a marqué. Cette rencontre est tatouée à tout jamais, gravée en moi.
Malgré ce comportement sauvage, les difficultés, j’y suis retournée. Avec appréhension, peine, douleur. Mais avec une terrible envie d’y être, de danser, même à peine, de pleurer parfois beaucoup, de sourire aussi et d’écouter intensément. A chaque fois et encore maintenant, plusieurs années plus tard et une formation de professeur de danse thérapie terminée, je continue d’être bousculée, bouleversée, propulsée vers moi-même.
C’est comme si, au plus profond de moi, je savais que cela allait me faire « du bien » comme on dit.
Car c’ est cela la danse thérapie. On parle un peu, on danse, on écoute des musiques puissantes et les paroles justes de Pascale. Toujours justes, bienveillantes. On est constamment bien entouré. Les autres élèves sont dans la même situation que nous. Alors on se laisse aller, petit à petit, tout doucement, cours après cours. On prend de l’aisance, on ose, parce qu’ici, aucun jugement, aucun regard de reproches, uniquement de la bienveillance, de l’admiration et de l’entraide.
On danse de façon libre, avec nous mêmes et avec les autres. Pour se rencontrer et rencontrer l’autre. Pour se libérer, pour parler quand les mots restent bloqués dans la gorge ou plus profondément. On danse sans se poser de questions, sans jugement ni critique, simplement en prenant conscience de notre âme, de notre moi profond, caché sous des murailles, des tonnes de pierres bien scellés entre elles.
Et au fil des cours, on ressent le bienfait. Les murailles se fissurent, les pierres s’allègent, des brèches se créent pour parfois laisser quelques rires jaillir ou des larmes s’échapper. Sur le moment, c’est dur, dans la tête, dans le corps, ça tiraille, pince, brûle, secoue. Mais on est dans un endroit sécurisant, bien entouré. Alors tout va bien. Et pleurer, bien ou mal, peu importe, cela libère. Cela libère tout ce qui était bien enfoui, qui nous empêchait de vivre pleinement car au fond, on savait qu’un truc gisait là, nous rongeait à petit feu. Alors on apprend à accepter qu’il est là et à le laisser partir. On le fait en dansant. Danser, encore et encore, comme on en a envie, comme on le sent, librement, comme un enfant. Danser à s’enivrer ! Sentir son corps se mouvoir, être de plus en plus libre, sans chaîne, quel plaisir ! Toutes les émotions passent entre nous, on apprend à les reconnaître, à jouer avec et surtout à les laisser circuler et s’évader. Le cours se termine toujours dans la joie et les rires. Même si chacun a été perturbé par le cours, on revient à nous, aux autres, on sourit pour de vrai, on parle un peu, chacun son tour, librement.
On voudrait que cela ne s’arrête jamais. Parce qu’on sent enfin la vie en nous, cette essence parcourir chaque partie du corps. Et puis, petit à petit, on se rend compte que l’on emporte ce bien-être avec nous, en dehors du cours. Et on en redemande, parce que ça fait tellement de bien de se sentir vivant, pour de vrai ! C’était mon grand saut dans la danse thérapie. Et je ne le regretterai jamais.